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Le monde d’après-demain...

 ·  ☕ 5 min de lecture  ·  🦊 Propositionjoe

Un oracle antisocial?

La question centrale du libéralisme a toujours été celle du contrôle de la population par le peu, le presque rien. La force doit être l’exception : pour ses partisans, le meilleur garde est celui qui n’existe pas. Ou plutôt celui qui est partout, puisque dans les têtes de chacun1. Surveiller et punir, tel est l’adage: punir si possible par l’autorégulation, le contrôle de soi, ou à défaut, par l’imposition du stigmate du dangereux terroriste.

L’équilibre trouvé par cette idéologie aura été pour un temps celui du processus démocratique. La majorité a décidé, il faut donc se soumettre. C’est cette clé qui donne encore sa légitimité à l’État, même lorsqu’il « sauve les banques » et ne défend de toute manière que les intérêts privés. En effet personne, jamais, n’a sérieusement accepté que sa vie ne se réduise qu’à la seule liberté vraiment permise en ce monde qui est l’acte marchand de vendre, mais surtout d’acheter. C’est pour cela que le vote est si important, il est la soupape qui permet de se dire, l’espace d’un instant, « je suis quelqu’un ». Oubliant que même ce court instant est déterminé de l’extérieur par le calendrier électoral, et que l’instant d’après sera de toute manière le résultat d’un arbitrage entre aller faire ses courses sur Carrefour Drive, ou regarder Cyril Hanouna - ou pour les plus doués - à faire les deux en même temps.

Il semble que le monde d’après-demain ne prendra même plus ces précautions suffragière d’usage. Avec l’avènement du web 2.0, c’est à dire des plateformes de rencontre et de mise en relation entre individus, la puissance publique se banalise, et c’est la vie courante qui devient source potentielle de bénéfice. Pourquoi réguler le secteur des transports puisque existe Uber ? Et plus insidieusement, à quoi bon pour un autostoppeur, laisser la contingence faire le choix d’un chauffeur - qu’on risque de ne pas apprécier au demeurant - quand il suffit de se connecter sur une plateforme, d’y choisir une personne bien noté, de faire jouer la concurrence pour que ce soit moins chère; et d’ainsi monétiser, auprès d’un autre utilisateur citoyen, un service gratuit jusque là ?2.

L’avènement d’internet et des technologies informatiques rejouent le jeux de l’apparition des nouveaux espaces de liberté précédents. Il n’aura fallu que quelques années pour que la libéralisation des ondes radios laissent la place au monopole de quelques groupes privés. Sur internet, les skyblogs3 n’ont pas tenu tête longtemps à Facebook. Dans l’immédiat, les utilisateurs y ont sans doute gagné; les différentes vidéos de chats partagées par nos nombreux amis se retrouvent toutes au même endroit, et c’est probablement plus pratique de les consommer comme cela.

Mais la question de savoir qui contrôle l’information, la diffuse et l’analyse reste en suspend. Si Twitter a remarquablement contribué à catalyser les printemps arabes en permettant l’auto-organisation en temps réel de tout et de chacun ; il a aussi permis en 2011 aux balayeurs-citoyens de Tottenham de «signaler et de nettoyer les dégâts causés par les affrontements et les pillages»4 mieux que ne l’auraient fait toutes puissances publiques.

Ce qui s’annonce, c’est un nouveau pouvoir basé sur l’analyse des données, aidées en cela par la contribution volontaire des masses. Aujourd’hui, l’application de streaming musical Spotify analyse ses utilisateurs, et croise toutes les données disponibles. Avec la puce GPS des téléphones portables, cette entreprise est en mesure de savoir quel titre a du succès les dimanches matins chez les amateurs de course à pied. Traitées de manière automatisée par des algorithmes, les utilisations à venir de ces outils justifient toutes les inquiétudes.

Le risque n’est même pas la disparition de la vie privée ; le comportement d’un individu n’intéresse aujourd’hui que les pervers. Mais par le traitement automatisé de cette infinité d’informations personnelles, c’est à l’industrialisation de la surveillance que nous assisterons. Le but n’est pas de savoir à quelle heure Paul sort son chien, mais de déterminer en permanence l’heure et le lieu permettant de vendre le plus de sachet à déjection canine, et/ou de verbaliser le plus de promeneurs mal-intentionnés.

Cette mise en chiffre du social va donner naissance à un Oracle 2.0 qui tirera sa force de l’analyse de l’intimité de chacun. Le système de pouvoir libéral gagnera en force d’autorégulation, en faisant d’un même geste le cauchemars de tous. La créativité, la contingence, l’invention spontanée ne seront bientôt que des variables, qui agrégées, permettront de servir les intérêts privés et l’ordre public mieux que ne l’auraient fait la stasi ou les officiers royaux.

L’outil rendra possibles les délires les plus fous. Après-demain, le pouvoir ne luttera plus contre l’ingouvernable, il gérera l’imprévisible. Moins de matraques, mais par la tyrannie de cette nouvelle statistique, une surveillance renforcée ; surveillance d’autant plus efficace qu’elle sera devenue froide et anonyme.


  1. Qu’un citoyen se dérobe à ses obligations marchandes, le libéralisme n’exclut évidemment pas l’usage de la force; les déportés de Cayenne, et les éborgnés de la place de la République en témoigne assez. ↩︎

  2. On pourra visiter le site revue-ballast pour une excellente description de ce que ces plateformes, sous couvert de cool et de modernité, font à ce qui est humain en nous. ↩︎

  3. La préhistoire d’internet était peuplé de site de particulier, chacun étant créateur de contenu, chacun effectuant de manière plus ou moins aléatoire sa recherche de contenu. Aujourd’hui, la majorité des contenus sont chez Facebook, Twitter… et ce sont ces plateformes qui décident de mettre en avant ceci plutôt que cela. ↩︎

  4. Information relevée par le Comité Invisible, dans, À nos amis, La Fabrique, 2014 ↩︎

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Propositionjoe
RÉDIGÉ PAR
Propositionjoe
Soyez résolus de ne servir plus et vous voilà libres, Étienne de La Boétie, Bricoleur militant.